Première époque : les moulins banaux du Ripault à Monts
Monts tire son nom très certainement des deux collines qui dominent le bourg de 25 mètres. Il est traversé par l’Indre. La rivière y dessine deux belles boucles et diverses sinuosités favorables pour la construction de moulins.
Le lieu-dit du Ripault aurait d’ailleurs pour origine le terme Ripoe. Ce dernier vient du mot latin Ripa qui signifie « petite rive » ou « rivage ».
C’est donc sur cette rive que se situe notre histoire des moulins et meuniers du Ripault.
Jusqu’à 12 moulins à Monts
La proximité de la rivière a façonné l’activité des habitants depuis fort longtemps. En l’an 55 avant notre ère, Labienus, un des généraux de César, est délégué pour occuper l’ouest du pays et en particulier la cité gauloise des Turons[1]. Les Romains remarquent la grande pente de la rivière – 0,70 m par kilomètre, le double de celle de la Loire – et son étroitesse qui se prête à merveille à l’installation de barrages propres à fournir des chutes mettant en mouvement des roues à palettes.
Deux moulins furent d’abord créés, au Bourg et au Ripault vraisemblablement, puis bien d’autres au cours des siècles suivants… on dénombre jusqu’à 12 moulins à Monts, dont 7 existent toujours[2].
[1] Turons : du nom de la tribu celte venue de Thuringe qui envahit il y a 2 500 ans, ce qui deviendra la Touraine.
[2] Voir la liste des moulins sur le site de la commune.
Les moulins banaux de Candé
Un acte notarié passé devant maître Louis THIERRY, notaire royal à Tours, le 31 février 1575, atteste de la présence sur les berges de l’Indre, de deux moulins à farine au lieu-dit du Ripault. C’est l’aveu de Candé, rendu par Victor BRODEAU, seigneur de la châtellenie de Candé à son suzerain et voisin, Louis de ROHAN, Comte de Montbazon.
Ces moulins dits moulins à blé de Candé sont des moulins banaux. Ils comportent une roue à aubes sur le côté et une meule en pierre de silex de la région.
Ils dépendent du château de Candé, construit en 1508 par Briçonnet, Maire de Tours, sur le coteau faisant face au site du Ripault.
Pendant environ 200 ans, les moulins restent la propriété des châtelains : la famille BRODEAU jusqu’en 1712 puis le Chevalier GUENAND et enfin en 1715, Pierre ANGUILLE de la Niverdière, commissaire provincial des guerres de Roussillon. Les châtelains louent les moulins à des meuniers.
Les meuniers du Ripault
Les DELALAY, une grande lignée de meuniers
En 1721, les moulins de Candé sont loués au meunier Toussaint DELALAY.
Toussaint est né à Monts le 22 mars 1663, c’est le fils de Nicolas DELALAI et Jehanne BROCEAU. Il est issu d’une lignée de meuniers comme c’est souvent le cas dans ce milieu où l’endogamie est très forte. Ses ancêtres, frères, enfants et petits-enfants, oncles et neveux… sont meuniers, marchands meuniers, blatiers… dans des moulins situés dans différentes paroisses tout au long de la rivière Indre, à Artannes, Pont-de-Ruan, Monts et Veigné.
Ainsi, le père de Toussaint, Nicolas DELALAY est marchand meusnier à Monts comme on peut le lire dans l’acte de baptême de sa fille Charlotte daté de 1655. A noter que le parrain Laurand GENTILS qui est le neveu de Nicolas est lui aussi fils de meunier.
Une fille de meunier épousait souvent un meunier. Ainsi donc, Léonarde DELALAY, la tante de Toussaint et Charlotte avait épousé Laurand GENTILS père, marchand meusnier … De même, la marraine choisie est l’épouse d’un marchand meunier. Le vicaire ne le précise pas ici mais Sylvain BESNARD, marchand est bien meunier.
Le grand-père de Toussaint, Nicolas DELALAY est lui aussi marchand meusnier, à Artannes, comme l’indique le curé en 1647, dans l’acte de mariage de son fils Nicolas.
Toussaint DELALAY et les moulins du Ripault
Toussaint DELALAY, notre meunier du Ripault, se mariera, pas moins de quatre fois. Il épouse le 24 février 1689, Jehanne BESNARD, fille de feu Sylvain, meunier déjà cité plus haut. Puis, le 31 janvier 1695, il épouse Marie VINEVIER, qui est fille de laboureur, tout comme sa quatrième épouse Jeanne MAZOUER avec qui il se marie le 7 mars 1707 toujours à Monts. Dans cet acte, le curé précise que Toussaint est “meusnier”.
A l’époque, le taux de mortalité était élevé, en raison des épidémies et des maladies, des décès des femmes en couche, des conditions de vie… On dénombre aussi des accidents, et dans les moulins, au bord de l’eau, ils étaient fréquents.
C’est ce qui arriva à sa troisième épouse, Marie RIDÉ que Toussaint épouse le 28 avril 1698. On comprend en lisant son acte d’inhumation en date du 16 janvier 1706, que Marie s’est noyée par accident. Elle est tombée à l’eau le 10 décembre 1705 (die decima decembris). Mais, son corps n’a été retrouvé qu’un mois plus tard !
Lorsqu’il se marie avec Jeanne MAZOUER, Toussaint doit fournir « l’extrait de la mort de Marie Ridé sa dernière femme, arrivée le 10 de décembre 1705 ».
Les derniers DELALAY des moulins du Ripault
Mentionnons que l’inventaire de la Série G (Archives départementales d’Indre-et-Loire, Clergé séculier – Liasse G 886), signale un acte Intéressant. Acte par lequel « Toussaint DELALAY, meunier au Ripault, en 1728, et Jacques Ouvrard, aussi meunier, en 1733, portent legs et fondations de messes ». Il pourrait s’agir de son fils ou de son cousin. Ce qui est sûr c’est que son fils Laurent qui épouse en secondes noces à Monts, Marie ROUSSON, le 12 septembre 1729, et son petit-fils Toussaint seront aussi meuniers à Monts.
Les CUIRASSIER, meuniers au Ripault
La famille DELALAY est remplacée par la famille CUIRASSIER. Enfin pas tout à fait car René CUIRASSIER épouse Catherine IMBERT le 17 juin 1755 à Monts. Ce n’est autre que la fille de Jean et de Marie DELALAY, et petite-fille de Toussaint DELALAY…
René CUIRASSIER avait épousé en premières noces, Jeanne MORICE le 31 mai 1740 à Monts. Dans son acte de mariage, le curé précise que son père Paul Moyse CUIRASSIER était de son vivant meunier aux moulins du Ripault.
René est lui aussi issu d’une dynastie de meuniers… et sa descendance continuera à exercer les métiers de meunier, blatier et même de boulanger[1].
Le bail que René CUIRASSIER signe en 1761, nous renseigne sur ce qu’il devait au seigneur de Candé. René payait un loyer de 700 livres, mais devait aussi donner 50 anguilles, 2 dindes, 6 canards, 6 chapons, 14 poulets ainsi que de la farine, du beurre et 26 œufs ![2]
[1] Lorsqu’un meunier mariait sa fille à un boulanger, il se garantissait par conséquent des débouchés. Et finalement il détournait l’interdiction faite au meunier d’exercer la profession de boulanger.
[2] AUDIN, P. (2001). Moulins de l’Indre tourangelle – de Loches à Azay-le-Rideau au fil de l’eau. Société d’Etude de l’Indre.
Les crues de l’Indre
L’Indre connaît des crues régulières mais celle de 1770 fut terrible et meurtrière, ; elle marqua la population pour des décennies.
Découvrons ce que décrit le curé de Monts dans le registre paroissial :
« L’inondation a été si grande ce jour d’huy, 27 novembre, qu’on n’a jamais ouï parler qu’elle fut telle[1]. L’eau est venue avec tant de précipitation depuis dix heures hier soir jusqu’à deux heures après minuit que cinq ménages au bas du bourg du côté des ponts et quatre du côté de Montbazon ont été obligés de se sauver en grande diligence de leurs maisons. Elle a monté de trois pieds dans la cave de la Chapelle Sainte-Croix. Toutes les maisons le long des Pâtis jusqu’aux moulins des Fleuriaux et celle du village de Beaumer (où il y avait aussi un moulin) avaient de l’eau jusqu’à la couverture et tous les ponts ont été emportés, l’eau passant de dix pieds par -dessus… »
L’inondation empêche la circulation d’une paroisse à l’autre, le curé de Monts est donc obligé d’enterrer des paroissiens d’Artannes « l’inhumation a été faite dans cette paroisse à cause des grandes eaux qui interdisent le passage dudit Artannes ».
Un meunier meurt noyé dans son lit : « Le vingt-huit novembre mil sept cent soixante dix a été inhumé dans l’église de cette paroisse par nous curé soussigné Jacques BASSEREAU agé d’environ soixante ans, ancien meusnier des Fleuriaux, où il a été surpris par les grandes eaux et ennoyé dans son lit, la nuit du vingt six au vingt sept du present mois[…] »
[1] 15 pieds équivalent à env. 5 mètres ! En 1845, la plus forte crue du 19e siècle, le niveau de l’eau a atteint 3,24 m et celle de 1910 a atteint 2,83 m.
La destruction des moulins à farine du Ripault
Lors des crues, les moulins sont les premiers exposés. En 1770, à Monts, ceux du Ripault, de l’Ile Baranger, du Bourg et celui d’Epiray qui était en reconstruction suite à un incendie, sont balayés par les grandes eaux.
Les moulins du Ripault sont détruits et leur reconstruction coûterait trop cher. Par conséquent, les châtelains vendent le site à deux marchands de fer de Tours, les sieurs Moulin (!) et Chicoine, qui obtiennent l’autorisation du roi d’y construire une tréfilerie au début de 1771.
Mais ceci est une autre histoire… A suivre !
Article écrit à l’occasion du ChallengeAZ 2020 et publié sur le blog du Centre Généalogique de Touraine.