U comme usine, la poudrerie du Ripault

Suite de la première époque sur la Poudrerie du Ripault : R comme Ripoe, Le Ripault et les Ripaulins, des moulins à farine à la poudre à canon !

Le site du Ripault accueille une tréfilerie

La terrible crue de 1770 et la destruction des moulins banaux de Candé ont eu une conséquence positive inattendue, sur le plan économique, pour les habitants de Monts.

Plutôt que de reconstruire les moulins, ce qui aurait coûté fort cher, les châtelains vendent le site à deux marchands de fer de Tours, les sieurs Moulin (!) et Chicoine. Ces derniers obtiennent l’autorisation du roi d’y construire une tréfilerie au début de 1771. 

La tréfilerie tire profit de la force hydraulique de l’Indre[1] pour actionner ses moulins[2] et faire ainsi fonctionner ses machines. Le site du Ripault fournit alors la Marine royale en fers ronds et carrés et approvisionne les arsenaux de Nantes, Brest et Rochefort.

La manufacture royale de fils de fer apporte aux habitants un revenu plus élevé et moins aléatoire que l’agriculture. Monts est alors un village dont le nombre d’habitants continue de croître. La population locale fournit des charretiers, des charpentiers et des cloutiers. En revanche, les ouvriers spécialisés, tireurs de fer et martiniers, viennent de Franche-Comté, de Lorraine et d’Alsace.

Chromo carte éducative / publicitaire représentant un atelier de tréfilerie
Atelier de tréfilerie - Chromo carte coll. P. MACHET

Toutefois, les droits à payer, ruineux pour faire entrer leurs marchandises en Bretagne et des difficultés financières liées à la participation de la France dans la Guerre d’Indépendance américaine, contraignent les propriétaires de la tréfilerie, à liquider leur activité en 1783. La tréfilerie est rachetée par quatre notables, mais ils abandonnent la production au bout de 18 mois.

[1] Les dénivellations de l’Indre oscillent entre 0,60 m et 0,80 m. Or celle du Ripault dépasse 1,14 m ce qui procure aux roues une force motrice considérable

.[2] Baptisés par le curé de Montbazon en 1773.

Les débuts de la fabrique des poudres et salpêtres du Ripault

Le droit de fabrication, vente et distribution des poudres et salpêtres est un acte souverain. Le roi de France, pour affirmer sa puissance en Europe et s’assurer de l’approvisionnement régulier des armées, installe donc des manufactures d’armes et de munitions dans des lieux stratégiques sur l’ensemble du royaume. Dès 1764, Louis XV manifeste la volonté d’implanter une manufacture dans la Vallée de la Loire qui n’en possède aucune.

Après vingt ans d’enquête, Jean René Denis Riffault des Etres, inspecteur des poudres dans les généralités de Tours et de Poitiers, trouve enfin le lieu idéal à Monts :

  •  présence de l’Indre qui ne se tarit jamais,
  • des moulins qui permettent de fabriquer la poudre,
  • proximité des voies de communication (route de Paris vers l’Espagne en passant par Bordeaux),
  • et surtout abondance de salpêtre naturel, ingrédient indispensable à la préparation de la poudre.

Le tuffeau, poreux, absorbe l’humidité. C’est une pierre, qui, exposée à l’air, se salpêtre naturellement. En Touraine, le salpêtre se récolte sur les murs des villes et de toutes les habitations. Ou encore dans les carrières de tuffeau lorsque celui-ci est exposé quelque temps à l’air.

Gravure d'Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794), chimiste Français
Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794), chimiste Français, gravure sur bois, publiée en 1893

Le 27 avril 1786, Antoine Laurent de Lavoisier, commissaire du Roi, signe l’acte d’acquisition, de l’ancienne tréfilerie sise au Ripault. La poudrerie ne cessera de s’agrandir et de se moderniser durant les 176 ans de son activité.[3]

[3] En 1961, la poudrerie ferme définitivement et dès 1962, le site est occupé par le CEA. Pour plus d’infos : lire l’histoire de la poudrerie. « Le Ripault et les explosifs – 176 ans d’histoire poudrières au bord de l’Indre ». Agathe GUENAND  (2007).  Edition Alan SUTON .

La poudrerie du Ripault à Monts

La force motrice nécessaire à la fabrication de la poudre était fournie par quatre moulins, bénis par le curé de Monts comme en témoigne le registre paroissial : 

« Le 2 mars 1789, à la réquisition du sieur Riffault des Etres, nous, curé, soussigné, nous sommes transportés au lieu du Ripault, en cette paroisse, où nous avons béni un moulin à poudre établi audit lieu sous l’invocation de saint Antoine, en présence dudit sieur Riffault, des sieurs Le Roy, contrôleur, et Grellet, vicaire de Monts.  
Les autres moulins, sous l’invocation de saint François et saint Maurice ayant été bénis en notre absence et de notre consentement par maître Benoît de la Grandière, chanoine de Tours, le 24 avril dernier ».

Le curé ajoute que « le moulin sous l’invocation de saint Jean a été béni par nous le 24 juillet suivant. »

Monts et la Poudrerie nationale du Ripault – Carte d’état major – Géoprtail

Sous la Seconde République puis sous le Second Empire, l’État procède à des expropriations des riverains pour agrandir la poudrerie.

Dans les années 1848-1849, de grands travaux d’aménagement de la rivière sont entrepris pour créer sur le site du Ripault un réseau de canaux. Ils viendront alimenter une nouvelle poudrerie hydraulique dotée d’usines à meules, et autres ateliers tels que grenoir mécanique et lissoirs mus par la force hydraulique.

Par la suite, le site ne cessera de s’agrandir et d’être modernisé et l’Indre sera réaménagé pour répondre aux besoins de la production.

Un nouveau déversoir est ainsi construit en 1857 pour remplacer l’ancien petit barrage.

Plan coloré de l'usine de la Poudrerie du Ripault à Monts en 1851
Plan des canaux de la Poudrerie nationale du Ripault en 1851 – Archives départementales d'Indre-et-Loire

Le site de la poudrerie du Ripault en 1910

En 1910, Ardouin-Dumazet[4] décrit le site du Ripault ainsi :

« […] au bord de la rivière claire, dans une île, naturelle ou artificiellement formée par des canaux rectilignes aux berges fleuries, sous de grands arbres […], peupliers, saules, tilleuls, trembles, marronniers, platanes et sapins, s’égrènent de petites huttes fermées de trois côtés. Largement ouvertes de l’autre, séparées par un monticule de gazon ponctué de myosotis, de renoncules, de boutons d’or et de primevères. […]

Le calme est profond sous la voûte épaisse et verte de ces grands arbres, reflétée sur l’onde tranquille où se jouent des bandes d’ablettes. Un lointain murmure d’eau frémissante s’épand sur le site, bruit de la rivière tombant en cascade sur un barrage de retenue. […]

Ces arbres, ces pelouses, ces talus fleuris ne sont pas là pour l’ornement : ils répondent à une nécessité industrielle. Chacun des petits ateliers si heureusement enfoui est une mine toujours prête à sauter à la moindre imprudence. […]

Les talus émaillés de pâquerettes, de primevères et de boutons d’or servent d’écran, les arbres majestueux divisent par leurs rameaux et leur feuillage les ondes d’ébranlement et circonscrivent le champ d’action de la bâtisse où une explosion peut se produire. […]»

[4] Ardouin-Dumazet « Les Châteaux de la Loire – Voyages en France : Touraine – Anjou »

Ouvriers de la Poudrerie du Ripault devant l'entrée côté Ouest
Ouvriers de la Poudrerie du Ripault – Entrée côté Ouest – Carte postée le 29 février 1908 – Coll. P. MACHET

Les explosions et incendies

Pour écarter les risques d’explosion, les poudriers sont contraints de suivre un règlement très strict :

« On ne peut trop exiger de prudence et de précaution de la part des ouvriers dans les manipulations qui se font dans cet atelier (le grenoir où est égrené le mélange, une pâte humide qui est transformée en poudre). […]

Ils ne doivent y entrer qu’avec des chaussons aux pieds, ou des souliers sans semelle nommés patins ; ils auront soin de n’avoir aucune pièce de métal qui, par son choc ou sa chute, pourrait occasionner des accidents, et il faut que leur attention se porte jusqu’à surveiller tous leurs mouvements. Le plancher, les murs et les ustensiles sont là tellement imprégnés de poudre, que tout ce qui pourrait donner lieu à la production d’une étincelle doit être très soigneusement écarté. »

Ont été recensés dans les archives du Ripault pas moins de 51 incidents majeurs : des incendies et plusieurs explosions importantes (1825, 1901, 1943).

Au sujet de l’explosion de 1825, Léon Berland dans son récit de souvenirs sur Veigné [5] écrit :

« une terrible explosion secoua la poudrerie du Ripault, à Monts. Elle avait fait douze victimes, et ma grand-mère s’était retrouvée dans la cheminée de l’auberge, baignant dans la fricassée de poulet dont elle surveillait la cuisson ! Une souscription avait été ouverte, pour venir en aide aux veuves des malheureux ouvriers. »

L’auberge du Cheval Blanc étant située à Veigné, on imagine l’onde de choc provoquée par l’explosion.

Chaque explosion cause plus de morts que la précédente (une centaine de morts en 1943).

Le 18 octobre 1943 à 11 h 03, une immense explosion détruit la Poudrerie Nationale du Ripault et le hameau de Vontes. Au centre, un cratère de 40 m de diamètre et de 10 à 12 m de profondeur témoigne de la force de cette explosion… L’explosion fut ressentie jusqu’à Amboise ! La poudrerie occupée par les Allemands avait été remise en activité hâtivement après la destruction partielle des Français en 1940, et les précautions d’usage peu respectées.

[5] « Moi, Léon BERLAND vigneron de Touraine. La vie quotidienne d’un village de Touraine entre 1850 et 1910 à travers les mémoires d’un aubergiste républicain. » P. Audin (1995). Ed. CLD.

L’éther

En plus des risques d’inflammation et d’explosion, les ouvriers sont exposés à des risques d’intoxication par les vapeurs d’alcool et d’éther. D’ailleurs, un Ripaulin succombe de cet empoisonnement en 1911. Ma grand-mère m’avait raconté que certains ouvriers buvaient de l’éther… Pour pallier les risques, on leur distribuait du lait.

Photo carte montrant les ouvriers devant les grilles de la poudrerie du Ripault
Les employés de la poudrerie du Ripault vers 1910 – Photo carte – Coll. P. MACHET

Le Ripault et les Ripaulins

Les ouvriers sont soumis à des risques quotidiens. Toutefois, ils évoluent dans un cadre de travail privilégié et bénéficient d’avantages sociaux considérables pour l’époque. La fabrique est gérée selon un système paternaliste dès son ouverture, et ce, jusqu’au début du XXe siècle.

Les arbres et espaces verts forment un cadre idyllique, mais qui a un caractère utilitaire : les arbres protègent les bâtiments les uns des autres et la verdure a un effet apaisant et relaxant pour le personnel soumis au stress quotidien.

Une approche paternaliste

Une trentaine de ménages d’ouvriers logent au Ripault dans des petites habitations. Ils cultivent des petits jardins potagers, des vignes, des arbres fruitiers et des champs de luzerne pour l’élevage des lapins.

Le commissaire en chef, son adjoint, le maître poudrier et leurs familles disposent d’un logement confortable. Par ailleurs, un bâtiment avec toutes les commodités (chambres, cuisine, atelier de lessivage, salon, cabinets…) sert à loger les différents corps de métier nécessaires au fonctionnement de l’établissement : tonneliers, charpentiers, menuisiers…

Le site dispose aussi d’une étable, d’un volailler, d’une porcherie pour assurer l’approvisionnement quotidien en viande et produits laitiers. Parmi le personnel du Ripault, on trouve ainsi, un boucher, un boulanger, des jardiniers… On compte également une écurie pour les chevaux et l’entreposage des véhicules de transports (charrettes et voitures).

Il y a une caserne pour l’infanterie (une trentaine de militaires), une pompe à incendie, une église et une prison.

Dès son installation, le site est moderne et les ouvriers ont à leur disposition, répartis sur l’ensemble du site, des latrines et des lieux d’aisance, ce qui n’était pas courant.

De plus, un bâtiment d’infirmerie est utilisé par le chirurgien de Montbazon qui vient visiter les malades. Il est à noter que les frais sont pris en charge par l’administration.

Le Tourne-Bride, auberge qui sert au logement des visiteurs de la poudrerie et de lieu de détente pour les ouvriers et homme de garde en poste au Ripault, devient la cantine au début du XXe siècle.

Le Tourne-Bride ancienne auberge devenue cantine de la poudrerie du Ripault
Le Tourne-Bride ancienne auberge devenue cantine de la poudrerie au début du XXe siècle – Coll. P. MACHET

La vie des poudriers selon Ardouin-Demazet en 1910

 « Le travail est demeuré patriarcal. Il n’y a pas de cité industrielle. L’ouvrier habite en pleine campagne, au milieu des hameaux entourés de cultures et de bois, au bord de rivières claires. Comme le logement au sein même de l’établissement est réservé aux officiers et aux sous-officiers, |…] les poudriers doivent aller chercher leur logement assez loin ; ils ont donc créé aux environs de petits groupes d’habitations formés de maisonnettes avec un jardin aux abords : parfois un champ, une vache, viennent accroître le bien-être. 

Au matin, par tous les chemins, on voit descendre vers la vallée des groupes de poudriers se rendant au travail. Quelques-uns ont un soupçon d’uniforme représenté par une casquette avec le mot « Poudrerie » mais la plupart ne revêtiront que dans l’établissement le costume classique du métier : pantalon, blouse, casquette en lasting noir (étoffe de laine rase, brillante et solide) qui ont la réputation d’être incombustibles. Ces vêtements, très propres, restent toujours à la Poudrerie où ils sont lavés et raccommodés… »

Les salariés sont plutôt bien payés par rapport aux ouvriers des autres industries. Ils touchent environ 5,5 francs par jour, soit presque 5 fois plus qu’un ouvrier agricole qui est payé en Touraine environ 1,25 franc. À travail égal, les femmes, assez nombreuses, sont moitié moins payées que les hommes…

Avant la Première Guerre mondiale, la poudrerie emploie entre 140 et 170 travailleurs, plus les responsables hiérarchiques. Les ouvriers travaillent 10 heures par jour.

Pendant la Première Guerre mondiale, la poudrerie devient, par nature, un site hautement stratégique. Pour soutenir la production, Le Ripault s’agrandit en superficie, continue d’innover et accroît sa main d’œuvre. Si bien qu’à certains moments ce sont plus de 4000 Ripaulins qui y travaillent. Or de nombreux poudriers sont partis au front. On fait donc appel en nombre aux femmes, aux ouvriers étrangers (Serbes, Annamites) et on mobilise des soldats sur site.

Les employés de la Poudrerie du Ripault devant les grilles vers 1911
Les employés du Ripault devant les grilles - vers 1911 - Photo carte L. Ricard - Coll. P. MACHET

Les poudriers dans ma famille

Je ne peux pas terminer cette longue épopée des moulins du Ripault, sans rendre hommage aux hommes de ma famille [6] qui travaillèrent comme poudriers au Ripault.

Avant la Première Guerre mondiale

À commencer par Christophe GUIROLLET mon arrière-grand-père qui entre comme poudrier au Ripault à la fin de son service militaire en juillet 1909. Il y travaillera jusqu’à la mobilisation générale de la Première Guerre mondiale, soit 5 ans. Il serait probablement retourné à la poudrerie après-guerre s’il n’était pas tombé au combat à Rupt-sur-Othain dès le 25 août 1914.

Ce n’est pas le seul poudrier de la famille. Louis Alphonse MASSOTEAU fils d’Alphonse et de Silvine FUMARD, cousin germain de Marie-Louise MASSOTEAU, mon arrière-grand-mère et épouse de Christophe, y travaillait déjà depuis quelques années.

Puis, le jeune frère de Christophe, Louis Joseph MARTIN entrera lui aussi à la poudrerie et y travaillera jusqu’à son départ pour la guerre le 17 décembre 1914, guerre dont il ne reviendra pas, lui non plus. Le frère aîné de Louis Joseph, Armand MARTIN était aussi poudrier.

Pendant la Première Guerre mondiale

La famille a fourni des poudriers au Ripault avant-guerre, mais aussi pendant la guerre :

  • Louis MASSOTEAU, fils de Léon et Juliette DRAULT, autre cousin de Marie-Louise, soutien de famille, est, dès mars 1914, « non affecté à la poudrerie » (il n’est plus rattaché au régiment où il a fait son service militaire, mais à la poudrerie). Il y travaillera jusqu’à son décès en 1916.
  • Louis Alphonse MASSOTEAU, qui était déjà poudrier comme nous venons de le voir, est âgé de 37 ans quand il est mobilisé en 1917. Il est détaché comme poudrier.
  • Paul FREMONDEAU, fils d’Henri et de Léontine MASSOTEAU, lui aussi cousin germain de Marie-Louise, âgé de 34 ans, déjà « non affecté à la poudrerie » en 1906 après son service militaire, est pendant la guerre maintenu « non affecté au Ripault ».
  • Enfin, Ernest FREMONDEAU, frère cadet du précédent, est détaché au Ripault pour renforcer les équipes de la poudrerie de septembre 1915 à avril 1917 avant d’être envoyé une seconde fois au front dans un régiment d’artillerie. De la classe 1910, il est mobilisé également lors de la Seconde Guerre mondiale et affecté comme poudrier au Ripault.

[6] Dans la base de données (non exhaustive) des archives du personnel civil du Service Historique de la Défense à Châtellerault, on dénombre neuf MASSOTEAU employés au Ripault au début du XXe siècle, tous de la famille.

Les employés de la poudrerie du Ripault vers 1910
Les employés du Ripault vers 1910 - Coll. P. MACHET

Article écrit à l’occasion du ChallengeAZ 2020 et publié sur le blog du Centre Généalogique de Touraine.

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