Décembre 1690, entre Touraine et Anjou
Le 8 décembre 1690, le curé de Veigné, paroisse de Touraine près de Montbazon (Indre-et-Loire), inscrit, sur le registre des baptêmes, mariages et sépultures, l’acte de sépulture et officie à l’enterrement d’un passant anonyme.
Anonyme et inconnu des habitants mais nous allons voir que finalement cet acte de sépulture nous fournit beaucoup plus d’informations sur le défunt que ce que les actes de sépulture révèlent habituellement sur les paroissiens du curé.
Lisons ensemble cet acte et découvrons au fur et à mesure ce qu’il nous apprend et les questions qu’il soulève.
Les circonstances du décès
« […] Le septième décembre 1690 décéda un passant logé chez Louis Bourassé marchand en cette p[arroi]sse, du cinq dud[ict] mois au soir lequel fut surpris d’une fluxion de poitrine la nuit du cinq[uièm]e au six[ièm]e […] ».
Nous apprenons tout d’abord que cet homme a attrapé une fluxion de poitrine, « maladie redoutée entre toute » comme l’écrivait Marcel Pagnol en 1958 dans le « Château de ma mère ». Ce terme désignait une pleurésie ou une pneumonie.
Nous sommes le 7 décembre 1690 et même si ce mois de décembre 1690 ne fait pas partie des plus rigoureux, il n’y a rien de surprenant pour un voyageur d’avoir pris un coup de froid. D’ailleurs, on pouvait mourir de pneumonie en plein mois de juillet. Quant à le soigner… nous sommes au XVIIe siècle et il n’y a qu’à relire Molière pour se remémorer ce que la médecine de l’époque était capable de faire… et encore fallait-il qu’il y ait un médecin ou un chirurgien dans les campagnes.
Notre inconnu logeait chez Louis BOURASSÉ marchand de Veigné : il s’agit très vraisemblablement de Louis BOURASSÉ[1], époux de Françoise CROIX qu’il a épousé dix ans plus tôt le 12 février 1680. D’ailleurs, parmi les témoins qui assistent à l’inhumation, se trouvent les Nicolas CROIX père et fils : il s’agit respectivement des beau-père et beau-frère de Louis BOURASSÉ. Ce qui confirmerait notre hypothèse.
[1] Louis BOURASSÉ est le neveu de Thomas BOURASSÉ mon sosa 5598.
La mort et la religion
L’absence de confession
Continuons la lecture de cet acte :
« […] lequel fut surpris d’une fluxion de poitrine la nuit du cinq[uièm]e au six[ièm]e qui luy ota l’usage de la parolle et de la connoissance, déclaré led[ict] Bourassé qu’il ne s’est point confessé n’a déclaré son nom, ny son pais, ny sa religion, ny sa vocation, auquel cependant nous avons jugé favorablement devoir donner le sacrement d’extrême onction et sépulture parmy les fidèles […] ».
L’homme qui a perdu l’usage de la parole n’a pas communiqué son nom, ni son pays, c’est-à-dire sa paroisse ou région d’origine, ni sa religion. Or le curé doit s’assurer qu’il a affaire à un bon chrétien.
Au XVIIe siècle, l’Eglise catholique rythme le quotidien des chrétiens. Chacun des moments importants de leur vie, de la naissance à la mort, est formalisé. L’accompagnement des fidèles dans la mort suit un rituel précis afin que le mourant, pour le salut de son âme, ne parte pas en état de péché ce qui terrorise la majorité des Français de l’époque : le prêtre est, dans le « scénario idéal », appelé par la famille ou l’entourage pour apporter les derniers sacrements. Le curé, le plus souvent accompagné d’un enfant de cœur, reçoit la confession (la pénitence) du mourant, afin que ce dernier puisse communier (l’eucharistie), le curé recueille aussi parfois ses dernières volontés et lui donne le sacrement de l’extrême-onction.
Un bon chrétien
Notre anonyme a perdu l’usage de la parole, il ne peut donc pas se confesser et par conséquent ne peut communier. Nous lisons pourtant, que le curé lui donne néanmoins le sacrement de l’extrême-onction avant de célébrer son inhumation dans le cimetière paroissial.
Mais reprenons la lecture de l’acte qui va bientôt nous révéler de précieuses informations :
« […] auquel cependant nous avons jugé favorablement devoir donner le sacrement d’extrême onction et sépulture parmy les fidels sur ce qu’il avoit sur luy un chapelet et un certificat d’extrait de batemes de St Martin de Geneté soubs le Lude, délivré le 29 octobre 1688 et signé Manssion pre[bstre] curé dud[ict] lieu […] ».
A n’en pas douter c’est un bon catholique !
Le voyage de notre passant
Sa vocation
Le curé précise que l’on ne connaît pas sa vocation c’est-à-dire son métier.
Notre inconnu est-il lui aussi marchand ce qui justifierait un déplacement ? Si tel était le cas, il est probable que Louis BOURASSÉ eut été au courant. Un artisan ? Mais alors sans aucun outil répertorié par monsieur le curé.
Un roulier ou colporteur ? Il se serait probablement présenté comme tel et aurait eu de la marchandise à vendre ?
Un mendiant ? Généralement, l’état général et les vêtements de ces derniers trahissent leur situation et le curé les repèrent. Le curé avait même sous l’Ancien Régime un rôle dans le signalement des mendiants auprès des autorités de police.
Notre passant se trouve à environ 75 km de chez lui, soit plus de 15 lieues. Il est donc à trois bonnes journées de marche de sa paroisse d’origine.
Son certificat de baptême comme sauf-conduit
Le certificat d’extrait de baptême a été délivré par le curé de son lieu de baptême, le 29 octobre 1688, cela fait donc deux ans que notre inconnu est amené à se déplacer. Ce certificat lui sert en quelque sorte de pièce d’identité.
Peut-être est-il en pèlerinage ? Sur le chemin du retour ? A Veigné, à l’époque, il n’est pas rare de croiser des pèlerins qui font une étape dans la paroisse…
Jusqu’à la moitié du XIXe siècle, Veigné était un bourg très animé de par sa situation sur le Grand Chemin du Bas-Berry à Tours. Quatre anciennes voies romaines se croisent à Veigné et Montbazon. Ce sont des voies secondaires mais de bonne qualité, qui rejoignent Tours et Paris et l’Espagne (avant que ne soit tracée bien plus tard la nouvelle Route d’Espagne qui traversera directement le bourg de Montbazon).
Montbazon a toujours été une étape très fréquentée. Au XIIe siècle déjà, l’Aumônerie Saint-Blaise est citée comme une étape des pèlerins sur la route de Saint-Jacques-de-Compostelle. L’Hôtel-Dieu des Franciscains, fondé en 1497 par testament par Françoise de La Rochefoucault, recevra également des pèlerins jusqu’à sa fermeture en 1698.
Son identité révélée
La transcription de son baptême
Quoiqu’il en soit, le curé Auger continue et nous indique ce que contient cet acte de baptême. Voyons ce qu’il nous apprend :
« […] un certificat d’extrait de batemes de St Martin de Geneté soubs le Lude, délivré le 29 octobre 1688 et signé Manssion pre[bstre] curé dud[ict] lieu, par lequel il paroit qu’il s’appelle Anthoine Duport et qu’il est fils de Pierre Duport et de Jacquine Seguin et son parrain Anthoine Nais et la marraine Mathurine Crouneau et qu’il fut batisé le 23 juillet de l’année 1649 par le s[ieu]r Audebert vicaire. […] ».
Le voile sur l’identité de notre passant inconnu est levé !
Voilà que nous savons en fait que notre passant s’appelle Anthoine DUPORT et qu’il est né le 23 juillet 1649 à St Martin de Geneté.
St Martin de Geneté soubs le Lude c’est la paroisse St Martin de Genneteil en Anjou (Maine-et-Loire) à proximité du Lude dans le Maine (Sarthe).
Son acte de baptême en Anjou
Un petit tour sur le site des Archives départementales du Maine-et-Loire et nous trouvons rapidement son acte de baptême à Genneteil le 23 juillet 1649.
« […] Le vingt troysiesme jour dudict moys & an fut baptizé par nous vicaire soubs signé Anthoinne fils de Pierre Duport et Jaquinne Seguin, ses père & mère, fut son parrain Anthoinne fils d’Anthoinne Nais, marrainne Mathurinne Crouneau. Signatures : Audebert (le vicaire) et Anthoine Nays (le parrain). […]»
Nous savons désormais qu’Antoine DUPORT est le fils de Pierre et de Jacquine SEGUIN.
Son parrain Anthoine NAIS lui a donné son nom de baptême comme il est de coutume. Parrain qui sait signer (il signe d’ailleurs son nom avec un Y Nays). Il s’agit probablement d’Antoine NAYS, fils d’Antoine et de Renée ORILLON.
Sa marraine est Mathurine CROUNEAU, elle ne sait pas signer.
En consultant rapidement le même registre, nous trouvons également l’acte de baptême d’une sœur d’Anthoine, Renée DUPORT baptisée le 15 octobre 1651
Son signalement
Mais revenons à l’acte écrit par notre bon curé de Veigné qui ne s’arrête pas là dans sa quête pour identifier notre passant inconnu :
« […] Cet ho[mm]e paroissoit de l’aage de 40 ans, avoit les cheveux noirs assez longs et non frisez, la barbe noire, le visage quelque peu alongé, le nez assez long et aquilain et de moyenne taille […] »
Fait exceptionnel pour l’époque nous voilà avec un descriptif physique de notre inconnu !
Son acte de baptême nous confirme son âge. Il a bien 40 ans.
Il est de moyenne taille : la taille moyenne des hommes à l’époque se situe autour de 1m67.
L’enterrement de notre anonyme
Rassuré sur l’honorabilité de cet homme, le curé peut enterrer son inconnu :
« […] Et a été enterré en le cimetière le huitième du susd[ict] mois et an. P(rése]ns led[ict] Bourassé, Nicolas Croix père et fils, Guillaume Pineau le jeune, journalliers de cette p[aroi]sse et plusieurs autres. Auger pre(bstre) curé […] ».
Louis BOURASSÉ chez qui le passant est mort, assiste à l’enterrement.
Sont présents également les Nicolas CROIX père et fils, journaliers, évoqués plus haut.
Présent enfin, Guillaume PINEAU le jeune[1], également journalier : Il s’agit vraisemblablement de Guillaume PINEAU fils de Guillaume et de Michelle CAMBRON, marié au début de cette même année 1690, le 6 février à Urbanne ROY fille de Antoine et de Urbanne RABIER. Son épouse étant de Chambray-les-Tours, c’est-là qu’a eu lieu le mariage mais le jeune couple demeure à Veigné, paroisse d’origine de Guillaume.
Et plusieurs autres : des curieux ? Après tout l’enterrement d’un passant inconnu c’est un petit événement dans la paroisse ?
Finalement, voilà que notre inconnu de passage en Touraine ne l’est pas tant, même s’il reste encore des questions sans réponse : pourquoi était-il sur les routes et de passage à Veigné ? Était-il marié ? A-t-il eu des descendants ? Rien ne l’indique.
A-t’il eu d’autres frères et sœurs que Renée ? Il faudrait dépouiller systématiquement les registres de Genneteil et identifier la paroisse d’origine de sa mère car le mariage de ses parents ne semble pas avoir eu lieu à Genneteil…
Ce qui est sûr c’est qu’il est décédé loin des siens. Peut-être qu’un descendant de sa famille lira ces quelques lignes, n’hésitez-pas à me contacter…
[1] Guillaume PINEAU est le beau-frère de ma Sosa 1355 Françoise GENTY, dont il épousera la sœur en secondes noces.
L’enterrement de notre passant inconnu : son acte de sépulture et sa transcription
Le septieme decembre 1690 deceda un passant, logé chez Louis Bourassé
marchand en cette p[arroi]sse, du cinq dud[ict] mois au soir ; lequel fut surpris
d’une fluxion de poitrine la nuit du cinq[uièm]e au six[ièm]e qui luy ota l’usage
de la parolle et de la connoissance, declaré qu’il ne s’est point confessé,
n’a declaré son nom, ny son pais, ny sa religion, ny sa vocation, auquel
cependant nous avons jugé favorablement devoir donner le sacrement
d’extreme onction et sepulture parmy les fidels sur ce qu’il avoit sur luy
un chapelet et un certificat d’extrait de batemes de St Martin
de Geneté soubs le Lude, delivré le 29 octobre 1688 et signé
Manssion p[rebst]re curé dud[ict] lieu, par lequel il paroit qu’il s’appelle
Anthoine Duport et qu’il est fils de Pierre Duport et de Jacquine
Seguin et son parrain Anthoine Nais et la marraine Mathurine
Crouneau et qu’il fut batisé le 23 juillet de l’année 1649 par
le s[ieu]r Audebert vicaire. Cet ho[mm]e paroissoit de l’aage de 40 ans,
avoit les cheveux noirs assez longs et non frisez, la barbe noire,
le visage quelque peu alongé, le nez assez long et aquilain
et de moyenne taille. Et a été enterré en le cimetière le huitième
du susd[ict] mois et an. P[rése]ns led[ict] Bourassé, Nicolas Croix père et fils,
Guillaume Pineau le jeune, journalliers de cette p[arroi]sse et plusieurs
autres.Auger pre[bstre] curé
Sources
- Archives départementales d’Indre-et-Loire – Veigné, collection communale – BMS, 1682-1691 – (1690) 6NUM7/266/003 –
https://archives.touraine.fr/ark:/37621/jrg63zx7p508/aafb2e88-376a-4576-8167-9b364951ac5a. - Archives départementales du Maine-et-Loire – Genneteil, Collection communale. BMS, 1645-1681 – (1649)
https://recherche-archives.maine-et-loire.fr/v2/ark:/71821/ce9a2dc0a985fccddbcdfa1ed26f62d6. - Archives départementales du Maine-et-Loire – Genneteil, Collection communale. BMS, 1645-1681 – (1651) https://recherche-archives.maine-et-loire.fr/v2/ark:/71821/deec78475641a8ab6c4d0cf070798e30.
- Maurice, Jacques. (1988). Montbazon et Veigné aux temps jadis. Chambray-les-Tours : Editions CLD.
- Vieira, L. (1995). Montbazon : les auberges, jadis. Le Val de l’Indre, publié par la Société d’Etude de l’Indre et de ses affluents, n°7, p. 9 à 17 : Aymery Picaud, moine de Partenay la cite en 1135 dans son « guide des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle à Rocamadour ».
- Etude menée par Richard Steckel, professeur d’économie à l’Ohio State University.
Des hommes du Moyen Age aussi grands que ceux d’aujourd’hui (futura-sciences.com)